10-11 décembre 2021 – La nuit du 9 au 10 décembre a été dure. La mer était très nerveuse agitant dans toutes les directions les objets non fixés de ma cabine. D’un côté un tiroir mal fermé, de l’autre des objets surfant sur le plan de travail, moi translatant tantôt vers le bas de mon lit, tantôt vers le haut… Il est assez drôle de marcher dans un bateau qui tangue plus ou moins fortement. Cela donne lieu à de nombreuses situations. Par exemple, on trouve un jet d’eau, sous la douche, arrosant, de manière circulaire son occupant 1 fois sur 3, une traversée de coursive se faisant de droite à gauche, en titubant et longeant les murs, une personne tentant de rejoindre sa table avec son plateau repas en y effectuant un vrai numéro d’équilibriste ! Les joueurs de babyfoot sur le bateau développent de nouvelles stratégies ! Il est 5h30 lorsque je me lève le 10 décembre. A partir de 6h, je rejoins la passerelle où je retrouve d’autres personnes comme moi venues admirer le paysage marin et en attente de voir des lueurs de terres au loin dans l’horizon. Ce jour-là, la météo est capricieuse et le brouillard masque toute possibilité d’entrapercevoir les îles de Crozet. Le moment de cette contemplation est silencieux. Certains sont équipés de jumelles, d’autres d’appareils photos reflex, d’autres encore de leurs yeux simplement ouverts sur ce panorama au cinquante nuances de bleu. Après une bonne heure, je me rends sur la DZ au niveau de la poupe. Après quelques minutes, j’assiste au spectacle de 3 albatros planant sur des masses d’air invisibles. Le vol majestueux de ces grands oiseaux marins au milieu de l’océan est tout simplement magique.
A 8h30, le spectacle continue lorsque les premières falaises de Crozet se montrent enfin ! Entre l’émotion de revoir une terre ferme et l’excitation de la parcourir, chacun jauge ses sentiments à sa manière. C’est au large de Crozet que le bouquet final arrive ! Pétrels géants, albatros et autres espèces aviaires virevoltent autours du bateau flashés par les photographes amateurs et les ornithologues experts. Plus bas, au niveau de la coque du bateau, des groupes de manchots viennent nous saluer. Plus loin, deux-trois orques exhibent leurs dos et leurs ailerons disparaissant très rapidement sous les flots. Encore plus loin, au-dessus des falaises de Crozet, on peut apercevoir une myriade de taches blanches et noires qui se révèlera être une colonie de plusieurs dizaines de milliers de manchots !! Le moment est magique, hors du temps. Je mesure la chance d’être là à plusieurs milliers de kilomètres de chez moi face à cette incroyable nature brute !
Le Marion Dufresne lance ses deux ancres et nous nous établirons au large de Crozet pour 2-3 jours. A partir de là, l’hélicoptère va effectuer nombres d’aller-retour pour ravitailler en matériel, en gazole, en nourriture et en personnel la base scientifique de Crozet. C’est dans ces moments-là que l’on prend également la mesure de l’importante logistique qu’il faut déployer pour mener à bien toutes ces missions scientifiques sur les différents districts ravitaillés lors de la rotation du Marion Dufresne ! La météo annoncée pour le weekend du 11 au 12 décembre tombe. A partir de dimanche matin, une tempête est prévue avec des vents soufflants à 80-100 km/h et des vagues de 8 mètres. La visite de Crozet se ferra pour tout le monde le samedi !
7h50, Drop Zone – J’enfile mon gilet de sauvetage et cours rapidement en direction de la porte de l’hélicoptère, tête baissée. Nous sommes 5 en plus du pilote lorsque cet engin volant décolle de la plateforme du Marion Dufresne en direction de la base Alfred Faure de Crozet. Le vol est rapide. Nous traversons toute cette masse d’eau avec de bonnes rafales de vent ! J’avais déjà expérimenté un vol en hélicoptère mais pas dans ces conditions. C’était juste incroyable. Lorsque nous nous posons, nous retrouvons nos collègues du bateau et d’autres, en mission scientifique sur cette base. Après un passage par la biosécurité, on nous propose de descendre vers la Baie du Marin située à 1,5 kms en contre-bas. C’est là que ce trouve l’immense colonie de manchots que l’on voyait du bateau. Certains des collègues commencent à avoir le mal de terre après presque 2 semaines passées en mer. Sur le chemin, nous admirons le paysage plutôt minéral coloré de différentes nuances de verts. La végétation est rase, les arbres sont absents.
Après plusieurs minutes, nos yeux découvrent enfin derrière le rideau une scène irréelle et fantastique : des milliers de manchots sont là, présent devant nous, rien que pour nous ! Il y en a partout. Il y a des jeunes de moins d’un an exposant un plumage beige-marron recouvrant partiellement leurs corps, il y a des couples marchant ensemble. Au milieu de ces « chants » aux sonorités plutôt aigües, d’autres sons plus graves et gastriques se font entendre. Ils appartiennent aux éléphants de mer, avachis là sur le sable, semblant bronzer au soleil, parmi les manchots indifférents. C’était un moment hallucinant, qu’il est plus difficile de décrire que de vivre ! J’en ai profité et je sais que c’était un avant-goût de ce qui m’attend aux îles Kerguelen ! Avant de repartir avec l’hélicoptère sous un vent plus soutenu, nous faisons une halte dans une zone de nidification des grands albatros : magique ! Des étoiles plein les yeux, nous retrouvons le Marion Dufresne. Quinze collègues de Crozet nous ont rejoint. Jusqu’à Kerguelen, je partagerai ma cabine avec un manchologue, l’occasion d’en apprendre un peu plus sur la vie de ces drôles de bêtes ! Il est 22H30 lorsque je me couche. Toutes mes affaires sont ficelées en attente de la future tempête qui devrait nous secouer un peu !
Waouh lulu !! C'est juste magnifique et riche en émotions. Merci de nous faire partager ton voyage 😀🐧🐧
Quand on vit une passion, on la partage avec émotion, émerveillement, justesse et précision. C'est un régal de vous lire. Votre papa vous dira que, par très très gros temps, on marche parfois sur les cloisons !!! Bon séjour aux Iles Kerguélen. Michel Kerloch.
Waouh ! Qu'ils sont beaux ces manchots ! J'en veux un pour la maison !