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  • ludoviclesven9

Armor entre air iodé et barres rocheuses


18 – 21 janvier 2022 – C’est à bord du chaland l’Aventure II que nous quittons la base de Port-aux-Français en direction de notre prochain lieu de prélèvement : le lac d’Armor. Nous devions partir la veille mais la météo n’était pas suffisamment clémente : le vent soufflait à 35-40 nœuds établis avec des rafales à 55 nœuds. Les vagues, bien formées, frappaient le port ne laissant pas la possibilité au chaland d’accoster pour y charger le matériel. Toutes les activités de la base sont tributaires de la météo. C’est avec beaucoup d’impatience que nous consultons tous les jours les bulletins réalisés par Frédéric. D’ailleurs, un lâcher de ballon sonde est opéré chaque jour à 16h15. Il permet, entre autres, d’alimenter les modèles de Météo France grâce aux mesures de température, d’humidité, de force et direction du vent enregistrés en fonction de l’altitude. Le ballon éclate en général autours des 30 kms d’altitude. Ainsi, les infras (militaires du corps de l’armée de terre) pour les réparations de bâtiments à l’extérieur, les marins pour les différentes sorties en mer et les scientifiques pour les différentes expéditions hors de la base sont dépendants des bonnes conditions météorologiques. Hors de Port-aux-Français, avec notre VHF, nous communiquons avec la base tous les jours à 17h30 pour des questions de sécurité mais aussi pour recevoir différentes informations dont les bulletins météo pour les prochains jours. De fortes pluies pourraient par exemple augmenter le débit de certaines rivières qui seraient du coup infranchissables… Lorsque nous grimpons sur les pentes abruptes, il est plus simple de le faire avec un vent le plus faible possible. Bref, la météo conditionne clairement la manière dont nous allons réaliser nos transits ! Sur le chaland, nous sommes plusieurs petites équipes de scientifiques. Certains descendront sur l’île Mayes pour y étudier les pétrels géants (entre autres !), d’autres à St Malo pour le même genre de transit que nous avions réalisé la semaine passée. Nous descendrons à Armor situé comme les autres points de dépose dans le golfe du Morbihan. La traversée est assez longue et nous n’arrivons qu’à midi. Certains en profitent pour dormir, d’autres pour admirer ce magnifique golfe ! Nous croisons des dizaines d’îles avec pour fond de décor les montagnes blanches du Mont Ross ou d’autres pics moins enneigés. Lors de ces traversées, nous avons souvent la chance de pouvoir observer beaucoup d’oiseaux (Pétrels, Sternes, Skuas, Cormorans et Goélands) et surtout des dauphins Commerson, l’espèce endémique des îles Kerguelen ! Ils sont noirs et blancs et viennent souvent défier le bateau quelques minutes. C’est alors le moment de les photographier et d’admirer leur vitesse et leur agilité !




À Armor, nous allons rayonner autour de la cabane pour les différents échantillonnages ce qui nous permettra de largement alléger le poids de nos sacs à dos ! Dès que nous accostons, il y a un croisement des touks. Celles de la logistique IPEV d’un côté qui sont chargées sur le chaland et les nôtres que l’on décharge ! Un des autres intérêts de rester dans la même cabane est de pouvoir apporter plus de ravitaillements frais et secs ! Les menus sont alors plus variés ! Pour ce site d’étude, Marie et Mathilde (pilote et co-pilote de la vedette rapide Commerson) nous accompagnent ! Puisqu’elles ont un créneau vide dans leur planning, elles en profitent pour découvrir de nouveaux sites et échantillonnages. Les accompagnants aux expéditions scientifiques sont appelés manipeurs. Ils nous aident ainsi à porter le matériel scientifique et éventuellement à réaliser des mesures. Parfois, il n’est pas possible d’accepter des manipeurs dans notre équipe car les cabanes ne contiennent que 3 lits… Dans tous les cas, c’est toujours très agréable car cela permet de créer une belle dynamique d’équipe ! Le lac d'Armor a servi de site expérimental d'introduction de salmonidés (entre 1977 et 1992) et d'élevage de saumons. Les bassins flottants étaient installés dans le lac alors que la station technique était implantée près du déversoir dans la mer. Aujourd’hui, il reste toutes les traces de cette activité matérialisées par les différents bâtiments très colorés. Le vent et la pluie dégradent petit à petit ces constructions créant une atmosphère particulière. On ressent une impression de départ précipité. Des oreillers sur des lits sans matelas, de la vaisselle cassée, des vitres brisées agrémentent ce décor singulier. La nuit, beaucoup de bruits étranges s’en échappe. L’âme de cette cité semble hanter encore ce lieu abandonné. C’est dans ce genre d’endroit que l’on perçoit particulièrement l’impact de l’humain sur son environnement. On retrouvera ainsi ici et là des tessons de bouteilles, des bouts de plastique et autres matériaux d’origines anthropiques… Même si aujourd’hui, une bonne partie des Kerguelen est en réserve naturelle, par le passé, les envies de conquêtes de territoire et de profits ont laissé des stigmates presque indélébiles sur cette terre très fragile. Il est prévu un nettoyage drastique dans un futur proche. La nature pourra alors reprendre ses droits sur cette activité humaine très brève ! Lorsque nous posons le pied sur la terre ferme, nous nous dirigeons rapidement vers notre futur lieu de résidence. La cabane, qui servait de lieu de rassemblement des travailleurs de cette pisciculture, est assez agréable et bien achalandée. C’est une boite en métal bleu divisée en 2 parties. Sur la gauche se trouve un dortoir de 6 lits. A droite, le coin repas prend place. Il y a même une table et des bancs pour manger !! Un des autres bâtiments nous servira de salle de bain et toilettes, les anciennes installations étant encore en place. Il faudra tout de même aller chercher de l’eau à la rivière et la chauffer éventuellement sur les bruleurs de la gazinière. Le premier soir, j’ai tout de même tenté (tout comme Éric) le bain dans le bout du lac d’Armor. Le vent étant bien présent ce soir-là, cette douche aura était très très vivifiante… peut-être même trop 😉 ! Il m’aura fallu lester mes vêtements et ma serviette avec des cailloux assez gros. C’est assez clair, ma peau humide n’est pas adaptée aux bourrasques violentes du vent de Kerguelen ! Les soirs suivants, j’ai apprécié une douche presque « normale » avec de l’eau chauffée au préalable dans une casserole. Dans ces moments-là, on retrouve les valeurs simples et on apprend à économiser l’eau comme il se doit !




Durant cette première demi-journée, après un départ vers 13h, nous ferons le tour complet du lac d’Armor et 17 kms de marche d’abord sur des plateaux puis sur des pentes douces et enfin sur des flancs de montagne raides ! Sur ce tour, un des buts de cette expédition sera d’échantillonner tous les affluents (rivières et lacs) se jetant dans le lac d’Armor. Après une bonne quinzaine de prélèvements d’eau, de sols, de bryophytes et de cailloux, nous revenons à la cabane vers 21h à la tombée de la nuit. Ce lac est encaissé et se jette dans la baie de Hurley qui elle-même se jette dans le golfe du Morbihan. Les paysages volcaniques sont grandioses. Plusieurs points de vue permettent d’appréhender l’extraordinaire nature minérale qui s’offre à nos yeux. On remarque, sur ce qui apparait comme des falaises, les successions de coulées de lave qui se sont empilées sur des périodes de plusieurs dizaines de millions d’années.





Le lendemain matin, nous finissons notre échantillonnage des affluents du lac en nous concentrant sur la partie Sud avec les lacs Argoat, Lancelot, Noir et Enfer. Ce dernier porte bien son nom car il apparait comme une mer déchaînée. Le vent semble y souffler continuellement provoquant des vagues continuelles s’éclatant sur les rivages minéraux. Il était d’ailleurs le plus difficile à échantillonner sans se faire tremper par ses eaux agitées ! J’ai hâte d’analyser ces eaux léchées par les flammes de l’enfer. Par contre, sa couleur bleu turquoise dénote dans le paysage plutôt sombre. Est-ce un signe du côté narcissique du diable ? Autour du lac noir, c’est plutôt la couleur orange de la terre qui contrastera avec le reste du paysage. Les eaux, quant à elles, apparaissent translucides. Lors de cette matinée, on sentira l’intensité du vent augmenter ! Lorsque nous revenons à la cabane pour déjeuner vers 15h, le temps change complétement laissant place à une forte pluie tombant horizontalement 😉 ! Les rafales de vent permettent d’observer ces phénomènes étranges. Cette pluie nous frappe le visage avec une douceur acérée ! Nous décidons tout de même d’échantillonner autour de cette petite base. Ma stratégie est ici d’évaluer si une éventuelle pollution existe et s’est concentrée dans les sols entourant les différents bâtiments. Je prélèverai ainsi 24 points. Je compléterai avec 10 nouveaux prélèvements des masses d’eau circulant dans cette ancienne pisciculture. Les contaminants ciblés, lors de l’analyse de ces échantillons à Lille, seront entre autres le TBT, le cuivre, les antibiotiques, les hydrocarbures, des marqueurs d’une activité d’élevage piscicole. Nous sommes transit par le froid. Puisque j’échantillonne sans gants, mes mains voient leur agilité s’effondrer petit à petit…Nous sommes trempés lors de cette série d’échantillonnage chacun dans notre coin. La proximité de la cabane permet de nous réchauffer rapidement ! Ce soir-là, nous mangerons des lasagnes épinards thon cuisinées par Marie !




La nuit sera très agitée avec un vent soufflant sur la cabane autour des 100 km/h ! Cependant, même si le grondement de mère nature fait trembler les tôles du bâtiment, nous restons sereins quant à sa solidité et sa résistance ! Des vents bien plus violents ont déjà régulièrement déferlés sur cette bâtisse toujours debout ! Le lendemain devait être notre jour de départ après 2 jours passés sur ce site d’étude. Toutefois, vers 12h, après avoir finalisé nos prélèvements et rangé nos sacs, nous recevons un appel sur notre VHF : le chaland ne viendra pas nous récupérer : le temps est trop démonté ! Bien que le vent soit soutenu, nous en profitons pour revisiter les alentours et finaliser notre découverte des lieux. J’en profite pour réaliser 2 carottages de sédiments dans la baie de Hurley. A cet endroit précis, les pieds dans l’eau, j’ai comme une impression de déjà vu, de déjà vécu. Cela ressemble vraiment à la côte bretonne avec son air iodé, ces rochers remplis de moules, sa côte déchiquetée, le lichens jaune apportant des petites touches de couleurs sur les minéraux gris ! Puisque je suis en contrebas, je ne ressens pas le souffle du vent. L’atmosphère est calme comme un soir d’été. Je profite de cet instant hors du temps. J’imprègne mes sens de ces parfums marins, du chant des petites vagues, de ces couleurs celtiques.



Plus tard, nous partons à la recherche d’une espèce de fougère extrêmement rare et uniquement présente sur les pentes abruptes des montagnes d’Armor. Je tombe dessus par hasard dans une fissure de la paroi rocheuse. Son doux nom est Elaphoglossum randii. Après notre retour, en discutant avec certains biologistes de la base, il s’avérera que nous aurons trouvé un nouvel emplacement non répertorié de cette espèce unique de fougère (voir photo).



Sur les bords du lac d’Armor se trouve également une plage que nous avons baptisé « zizi rock » (le vrai nom est B… d’Armor). Sur celle-ci on peut trouver des cailloux avec des formes évocatrices… Bien sûr, nous ramasserons ces curieux cailloux dans un unique but scientifique 😉 ! Puisque nous avons le temps, la journée se termine par une pêche aux moules (pas la zébrée). Elles finiront dans notre assiette, cuisinées au beurre persillé par Marie !




Il est 11h lorsque le chaland nous récupère pour un retour à la base vers 16h. Au bilan, le contrat aura été totalement rempli scientifiquement. Les paysages auront encore été époustouflants et majestueux !



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