5-10 janvier 2022 – Val Travers. C’est le Chaland l’Aventure II qui nous dépose à 10 heures dans l’anse de St Malo dans le Golfe du Morbihan. Ce jour-là, les « cabanettes » ainsi qu’une équipe de soutien sont de sortie pour déployer de gros tubes de plusieurs dizaines de mètres au pied d’une cascade. Ces tubes permettront d’acheminer de l’eau potable jusqu’à une cabane et éviter ainsi à ses occupants de marcher 30 min chargés de lourds bidons d’eau.
A St Malo, se trouve une jolie cabane très spacieuse pouvant recevoir 6 à 8 personnes. Il y a tout le nécessaire pour y passer de bonnes vacances ! C’est une cabane TAAF qui accueille souvent les touristes du Marion Dufresne le temps de l’OP. Depuis l’apparition de la COVID, ces voyageurs n’ont pas foulé le sol des Kerguelen. Nous ne resterons pas dans cette cabane mais nous y déposerons nos bottes qui sont plus pratiques lors des transferts en chaland. L’objectif de la journée est de rejoindre la cabane Gazelle située à 20 kms. Cela constituera notre première étape de notre transit vers Val Travers. Il fait très beau ce jour-là. On n’oublierait presque la rudesse du climat des Kerguelen. La traversée nous prendra 7 heures à travers les sols très caillouteux, les zones humides et les petites barres rocheuses. Une multitude de paysages vont se succéder. Malgré le poids du sac qui commence à se faire ressentir sur nos hanches et nos épaules (25 kg pour moi !), nous profitons de cette ambiance du bout du monde. Comme à chaque fois, nous imaginons des GR et tentons d’éviter les zones trop humides pour préserver nos pieds au sec ! Ca implique alors de devoir marcher en mode dahu au pied des montagnes. Cela fatigue énormément les jambes. Les couleurs iront du vert clair des mousses et bryophytes, du bleu intense des lacs dispatchés ici et là dans les différentes vallées au gris-noir des blocs basaltiques des barres rocheuses. Dans ce genre de traversée, l’esprit ne divague que très peu… Nous sommes vraiment concentrés sur chaque pas. Un pied après l’autre nous avançons sur des terrains non adaptés à notre style métropolitain. Souvent je râle car sous la végétation se cache des gros cailloux qui roulent sous mes pieds me déséquilibrant à chaque fois ! La concentration est maximale. Une erreur de jugement nous vaut des chaussures mouillées ou une cheville fragilisée.
Nous arrivons vers 17h à la cabane Gazelle. Sur mon GPS, elle paraissait se trouver en haut des falaises. Elle apparaitra finalement au pied de ces dernières nous obligeant quelques dizaines de minutes de marche supplémentaires ! Cette cabane en bois est toute petite. Elle ressemble à un petit abri de jardin. Elle fait environ 1m80 sur 2m20. C’est un lieu de transit. Nous y dormirons à 4 ce soir ! Autant dire que l’installation du couchage est un vrai Tétris ! Néanmoins, l’odeur de bois et sa petitesse en font un petit endroit chaleureux. Il faudra marcher 15 minutes pour aller chercher de l’eau dans la cascade voisine. Nous prendrons également nos maillots de bain pour nous baigner et nous laver dans cette eau à 7°C ! Glacial mais très vivifiant ! Sur le retour nous croisons nos voisins de cabane qui jouent aux gladiateurs. Ce sont des éléphants de mer qui se bagarrent dans des marres chaudes et marrons. Le parfum de ces animaux sauvages effleure nos récepteurs olfactifs. Ca pique un peu le nez ! Après un inventaire rapide des 6 touks disposés à côté de la cabane, nous optons pour des boites de ravioli périmées depuis 2012 et du riz accompagné d’une sauce. Nous éteignons nos lumières rapidement ce soir-là (21h) dans une ambiance de sons gastriques émis par nos voisins marins.
Le réveil sonne à 4h30. Après un rangement de nos affaires et un petit-déjeuner, nous poursuivons notre route vers Val Travers. Nous longeons d’abord la côte où nous croiserons une petite colonie de manchots Papou. Ces moments sont assez fabuleux et hors du temps. Nous nous contemplons les uns et les autres (nous et les Papous), tentons de nous rapprocher. Leur démarche est comique. Ils finissent par s’approcher, nous regarder de près. Nous ferons de même ! Nous sommes une espèce sauvage pour eux, ils le sont pour nous. Néanmoins, le contact se fait naturellement et doucement. Nous repartirons au bout d’une demi-heure laissant ce moment de vie imprévu derrière nous.
La route est encore longue ! Nous poursuivons notre traversé sur les rochers qui bordent la mer. Là encore, chaque pas est calculé car chaque pierre est peut-être foulée pour la première fois. On monte, on descend, on glisse, on dérape, on se rattrape tant bien que mal, notre style de marche ne parait pas adapté à ce genre d’environnement ! Au bout de quelques heures, nous devons faire un choix. Poursuivre notre route en ligne droite et faire un détour pour atteindre la cabane de Val Travers. Sur le GPS, c’est tentant de prendre tout droit. Seulement, ce chemin est truffé de barres rocheuses. La route parait interminable. Derrière chaque col traversé se trouve un nouveau col. Ils se succéderont de cette manière et finiront par user nos muscles. Lorsque nous imaginons arriver proche de la cabane, il faut encore affronter la descente d’une belle falaise très pentue et très instable ! Au bout d’une heure, nous voyons assez clairement la cabane rouge de l’autre côté de la vallée. Avant d’y arriver, il faudra traverser une rivière. Cette fois ci, on devra également enlever nos pantalons. J’arriverai finalement à la cabane pied nu et en caleçon n’ayant pas pris le temps de me sécher et me rhabiller !
La cabane de Val Travers ressemble à une boite de conserve rouge. Elle est métallique et très vétuste à l’intérieur. Lorsque nous ouvrons la porte, une odeur d’urine nous embaume le nez. Le sol est parsemé de petites crottes de souris. Cette cabane des années 70 est très vétuste et pas très bien agencée. Il n’y a pas de table pour manger, les lits sont très petits et soumis à la condensation. La cuisinière parait dater des années 50. Le sol, en bois, parait rafistolé en tout point. Bref, cette cabane peu visitée, nous apparait très peu accueillante. Nous y resterons tout de même 3 nuits. Il n’y a pas de toilettes comme la précédente cabane. Je choisirai un joli coin en hauteur pour pallier ce manque. Avec quelques pierres bien agencées, une vue imprenable, mes toilettes finissent par être un joli lieu de contemplation. Toutefois, la rudesse du vent frais finit par vite me déloger !
Nous avons choisi de venir dans ce lieu (la plus longue distance autorisée depuis la base) à plus de 40 kms de la base car il regorge de sources d’eaux chaudes. J’espère y observer une chimie particulière des eaux et Éric pense y trouver des Amibes adaptées à ce genre d’environnement extrême. J’en profiterais pour y établir un beau plan d’échantillonnage des eaux et des sédiments. J’y disposerai également des sondes DGT (mesures des éléments métalliques dans les eaux des sols) et des systèmes de mesures des sulfures dissous. Je suis assez friand de ce genre de milieu. Toutefois, même si l’envie de prélever un maximum d’échantillon me taraude l’esprit, il ne faut pas oublier que c’est notre dos et nos jambes qui porteront l’ensemble sur plus de 40 kms de montagne ! La raison reprend le dessus, il faudra donc faire des choix ! Les nuits dans la cabane ne sont pas très agréables. Je dors à l’étage d’un des lits superposés. Lorsque je suis allongé, ma tête se trouve à 30 cm du plafond métallique et rouillé. Lorsqu’il y a des rafales de vents, ce dernier s’engouffre dans les interstices de la tôle créant par la même occasion des courants d’air assez désagréable. Au bout de quelques heures, des gouttes d’eau (par condensation) viennent me rafraichir le visage et mouiller partiellement mon sac de couchage ! La dernière nuit, une souris me sera passée sur le visage me réveillant instantanément ! D’autres souris auront uriné sur le bonnet et le duvet d’un de mes collègues… Vous l’aurez compris, cette cabane n’était pas forcément un doux lieu de repos. Toutefois, nous avons pu nous changer les idées dans les sources d’eau chaudes proches. Elles sortent des fissures de la montagne à 61°C puis se refroidissent petit à petit avant de se jeter, après plusieurs kms, dans la rivière Studer. De petits bassins semblent avoir été « construits » par les précédents voyageurs de ces contrées australes. Un premier bain offre une eau à 42°C : trop chaud pour moi mais pas pour mes collègues. Je préfère un second bain à 35°C. J’avais déjà expérimenté les sources d’eau chaude en Islande et en Bolivie. C’est toujours la même impression. Le décor est fabuleux, le corps se relâche, l’esprit divague, le temps s’arrête. Parfois les orteils refont surface et offre au corps une dualité de température : très fraiche à l’extérieur, très chaude sous l’eau. On profite de ces moments au chaud pour se laver. C’est sûrement notre douche la plus agréable de tous les transits réalisés jusqu’à présent ! Par contre, lorsque la nuit tombe et que vient le moment de devoir sortir, il se passe quelques minutes désagréables où il faut vite se sécher, le vent frais voulant le faire à la place de notre serviette ! Nous réitérons ces moments chaque soir après nos séries de prélèvements et de mesures dans la cabane. C’est vers l’exutoire du lac Bontemps qui se jette dans la baie Irlandaise que nous finirons nos échantillonnages. Pour nous y rendre, la marche est rapide et plutôt agréable ? Il faut dire que nos sac sont très léger ce qui facilite grandement nos déplacement sur le long des terrains difficiles. Cette baie est magnifique et ressemble étrangement aux paysages bretons que je suis habitué à contempler ! Ils m’apparaissent familiers. Pour appuyer cette impression de déjà vu, l’air iodé vient titiller le bout de mon nez ! Je m’y sens bien. Plus loin, au bord de la plage, 6 manchots royaux ont élu domicile. Nous faisons une petite photo de famille ensemble ;-) !
Le lendemain, après une dernière nuit à Studer, nous démarrons notre transit retour vers la cabane Gazelle d’abord. Nous avons changé d’itinéraire et longeons le lac Bontemps en forme d’haricot. Ce chemin est bien plus agréable pour nos jambes et apparait plus rapide. Il faut tout de même faire attention au transport des carottes de sédiment prélevées les jours précédents. Il faut éviter de trop la secouer ni de trop la tasser. Chaque fois que j’enlèverais mon sac de mon dos, je le poserai délicatement et verticalement sur le sol ! Sur le transit, nous croisons des manchots Gorfous nichés dans le creux des rochers. Nous arriverons avec 2 heures d’avance à notre premier point d’étape, la cabane Gazelle ! Au cours de cette première étape, Emily et moi-même avons les pieds assez humides (pour ne pas dire mouillés). La nuit ne sera pas assez longue pour sécher nos chaussures. Nous les remettrons donc le lendemain matin sans trop d’envie ! Il nous faudra 5 heures pour rejoindre la cabane de St Malo où le chaland nous attend à 13h. Bien que ce chemin retour apparaissait simple physiquement pour moi, il m’aura fallu attendre la dernière heure pour contredire cette affirmation ! Un faut mouvement ou une accumulation de kilomètres m’auront froissé voire tétanisé le muscle interne de ma cuisse droite. La douleur intense m’a directement envahi le corps. Chaque pas sera un supplice. Ma descente en mode crabe dans les éboulis rocheux m’aura pris 2 fois plus de temps aidé de mes bâtons de marche. Sur la fin du trajet, je décide de traverser en chaussures et pantalons un bras de mer sur quelques mètres pour éviter une remontée et d’autres douleurs. J’arriverai à la cabane soulagé et trempé ! Un café chaud, des bottes sèches me remonteront rapidement le moral ! En discutant avec les autres collègues de la base, nous nous rendons compte que nous sommes très, trop chargés pour ce genre de transit. Sur le chemin du retour, je devais sûrement avoir 27 kg sur le dos. Les routes n’étant pas tracées, nos muscles sont mis à rude épreuve ! Nous tenterons d’alléger encore plus les sacs pour la prochaine expédition ! D’ici là, place au repos et aux traitements des échantillons à la base !
Oups!!!! Que d'aventures qui ne se font néanmoins pas sans souffrance, mais que de superbes photos, souvenirs, émotions ...Bravo les explorateurs