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  • ludoviclesven9

Péninsule de Courbet : 100 km immergé dans la faune sauvage des Kerguelen...



26-29 janvier 2022 – C’est au petit matin du 26 janvier que nous entamons notre dernière expédition sur ces terres australes. L’objectif est simple, il faudra faire le tour de la péninsule Courbet et ses 120 kms de sentiers non tracés. Après un petit déjeuner copieux, nous chargeons nos gros sacs sur le dos remplis de matériel scientifique, d’affaires personnelles et d’un peu de nourriture fraîche. Koya, le Gener (le responsable de la logistique à Kerguelen) nous accompagne jusqu’à

la seconde étape du parcours.

« BCR, BCR, BCR, ici, pour ENVIKER, Ludovic, Emily, Eric et Koya », « oui je vous écoute ENVIKER », « Nous quittons la base pour Cataracte », « OK ENVIKER, bon transit ». Après cette VAC avec une de nos deux VHF, nous entamons la première étape et ses 25 kms vers 8h du matin. Le temps est pluvieux et légèrement venté. La météo prévue pour cette journée annonce beaucoup de pluie… Malgré tout, nous faisons le choix de ne pas prendre les bottes car le transit est plutôt caillouteux. A Kerguelen, il y a les adeptes des bottes en toutes circonstances et les autres qui ne jurent que par les chaussures de randonnées. D’un côté, une assurance de garder les pieds au sec, de l’autre des chevilles bien maintenues… Il n’y a pas vraiment d’intermédiaire. Sur les premiers kilomètres, le terrain est très pierreux et relativement plat. L’horizon n’est pas obstrué par des barres rocheuses ou des vallées gorgées d’eau. Sur cette route, il nous faudra déchausser plusieurs fois pour franchir les différentes rivières plus ou moins profondes et avec plus ou moins de débit. A chaque fois, cette étape nous coûtera une dizaine de minutes. On décroche son sac, défait ses chaussures, retire ses chaussettes, noue les lacets pour en faire un tour de cou, retrousse son pantalon, remet son sac, les sangles ouvertes, sur le dos. Chaque traversée révèle son lot de surprises. Chaque pas peut s’avérer glissant. Chaque pied posé peut être écorché. L’allure de notre passage au travers d’une rivière n’est pas toujours élégante et se révèle souvent incertaine. Parfois la température de l’eau est relativement clémente, souvent elle est glacée et saisissante. Le pied posé sur l’autre rive annonce quelques minutes de séchage et de rhabillement. Nous traverserons ainsi la rivière du Château, la rivière des Moraines, la rivière Norvégienne et la rivière Cataracte. Lors de cette marche sur ce sentier imaginaire, nous mettons le cap sur les éléments qui dominent le paysage : d’abord la butte Ronde, suivi de la butte Rouge puis de la Citadelle. Deux heures avant d’arriver à notre première halte, alors qu’elle avait cessée assez rapidement après notre départ, la pluie s’est à nouveau déversée sur nos visages asséchés par le vent. Mes vêtements sont restés relativement insensibles à cette matière liquide. Les textiles techniques sont aujourd’hui suffisamment efficaces pour affronter cette violation de domicile. Toutefois, d’autres sont moins efficaces. Le cuir de mes chaussures ayant déjà défié des kilomètres de chemins rocailleux, humides, salés, très humides, a baissé sa garde laissant cette eau, en provenance des cieux, remplir tous ses pores les uns après les autres. Par capillarité ou diffusion, mes chaussettes ont décidées d’éponger ce trop plein d’eau pour le plus grand plaisir de mes pieds… C’est à ce moment là que j’ai compris que ces chaussures ne feraient plus d’efforts pour me maintenir au sec ! C’est la cabane Cataracte qui nous attend au bout de cette première ligne. Elle se trouve en haut d’une butte. En bas de celle-ci coule une rivière où se prélasse dans un certain parfum sauvage quelques éléphants de mer. Sur une autre butte à quelques mètres trône un grand albatros dont la blancheur contraste avec les nuances de verts du paysage. Je m’approche pour prendre quelques photos. Il reste imperturbable à ma présence. Sous ses plumes il couve son descendant. La cabane est en 2 parties. Un premier module « chambre » et un second pour se restaurer. Elles sont en bois. Autour, les touks bleues annoncent de potentielles surprises culinaires. Avec Emily, nous nous chargeons d’aller remplir les différents bidons d’eau en amont de la rivière (bien avant le lieu de villégiature de nos pachydermes marins) afin d’avoir de l’eau pour boire, cuisiner et faire la vaisselle. Une belle cascade nous permettra de remplir facilement tous ces contenants. Le retour est un peu plus incertain et périlleux car chaque rocher est glissant. Suite à cet approvisionnement en eau, et puisque nous sommes déjà très humides, nous ne tardons pas à prendre notre « douche » non loin des éléphants. Elle sera rapide car le vent nous rappelle rapidement que notre peau mouillée n’est pas ou plus adaptée à ces conditions… Après un repas en provenance de boites de 10 ans d’âge (spécialité de Kerguelen), nous ne tardons pas à nous endormir rapidement après avoir installé nos duvets. Auparavant, nous avions allumé le radiant afin de tenter un séchage partiel de nos chaussures et vêtements. Je vous laisse imaginer le doux parfum qui viendra picoter nos récepteurs nasaux doucement mais sûrement ! La première nuit est bonne, tout le monde semble avoir bien dormi ! Éric est le premier levé. Il met à bouillir l’eau un certain moment pour qu’elle soit exempt d’un maximum de bactéries qui aimeraient coloniser nos terres…




Il est 7h lorsque nous quittons ce premier campement. L’objectif est d’arriver à mi-journée à la cabane Campbell en fin de construction. Nous traversons d’incroyables paysages proches de la côte nord de Kerguelen. En contemplant la mer, j’imagine derrière cet horizon infini l’hémisphère nord et ses terres familières. Les chemins sont plutôt agréables à parcourir. L’effort pour accumuler les kilomètres est moindre qu’en région montagneuse. Très rapidement, nous mettons le cap sur le mont Campbell qui domine la région nord de la pointe Courbet. Aux alentours de 11h, nos yeux peuvent enfin apercevoir cette nouvelle cabane qui ressemble plutôt à un beau chalet de montagne. La LOG (logistique) de l’institut polaire est en plein chantier de finition. Romu, Brendan et Vincent le bout de bois (menuisier) nous attendaient un peu plus tard. Ils sont là depuis 1 semaines à découper, coller, assembler et réfléchir aux meilleures astuces pour faire de cette cabane une étape reposante pour les futurs voyageurs de passage. Vincent exerce sa passion dans un paysage à couper le souffle au milieu de nulle part au bout du monde. Pendant que Brendan commence à préparer le déjeuner, et baignés dans une belle et chaude lumière, nous profitons d’un petit apéro improvisé. Plus loin, sur un des câbles fixant la cabane au sol, mes chaussettes et semelles de chaussures sèchent au vent virevoltant entre les rayons chauds du soleil. En face, le mont Campbell domine les lieux. Nous sommes à nouveau hors du temps quelque part ici entre ce caillou et cette rivière. Ici, nous sommes déconnectés de tout et le monde semble tourner sans nous…




Cette étape est très agréable mais il faut déjà songer à rechausser ses chaussures pour finir cette seconde étape. C’est à Cap Noir que nous trouverons notre prochaine cabane. Tout au long de ce transit, nous longerons la côte avec une vue imprenable sur l’océan Indien. Sur le bleu roi du vaste océan se dessinent des vagues acérées avec des nuances de verts et de marrons. Sur cette ligne très découpées, nous croiserons ici et là les habitants de ces lieux. D’abord quelques éléphants de mer se prélassant dans des transats de boue et de terre puis des manchots papous. Ces derniers sont toujours très drôles à observer, leur démarche incertaine suscite d’abord de la compassion puis dans un second temps de l’hilarité. Ces moments vécus sont aussi l’occasion de réaliser de belles photos. Ces oiseaux-là sont très photogéniques ! La découverte des autochtones se poursuit par la rencontre entre air et terre des albatros, pétrels géants et skuas. Le vol de ces oiseaux est toujours majestueux. Les skuas sont les plus petits mais sûrement les plus intelligents. Leur regard, toujours plein de malice, indique une certaine curiosité quant à notre démarche, nos habits et nos bonnets. L’ombre de ces oiseaux planent souvent au sol devant nos pieds nous poussant automatiquement à baisser la tête par reflexe. Lors d’un des derniers transits, un skua nous avait « voler » un de nos échantillons ! Les pétrels géants, quant à eux, ressemblent à des oiseaux préhistoriques. Leur gros bec acéré et puissant plonge dans les ténèbres et pour l’éternité les plus faibles ayant croisés leur route. Les lapins, les bébés éléphants et quelques manchots connaissent bien ce sentiment d’être survolés par ce prédateur. Enfin, parmi ces volants, l’albatros est sûrement celui qui offre le plus beau spectacle dans les airs. Il plane comme aucun autre et transperce les cieux de son vol majestueux. Baudelaire avait raison lorsqu’il décrivait cet oiseau maladroit et honteux sur terre, ses ailes de géants l’empêchant de marcher. Dans les airs, il est bien ce prince des nuées capable de parcourir des milliers de kilomètres sans presqu’aucun battement d’ailes. Il est aussi ce romantique qui prendra plus de 6 ans à séduire sa moitié en réalisant une myriade de danses et de chorégraphies. Son envergure de plus de trois mètres force le respect de ce roi blanc de l’azur ! Le spectacle de cette journée s’achèvera par la rencontre en plusieurs lieux de colonies d’otaries. Leurs regards méfiants et leurs cris nous indiquent que nous ne sommes pas forcément les bienvenues sur leur territoire. De plus, dans ces colonies, de nombreux petits semblent être nés récemment. Nous essayons de traverser ces colonies sans trop perturber leur atmosphère paisible. Parfois, nous franchissons leur périmètre de sécurité les rendant furieuses… Elles n’hésitent pas à nous affronter. Nous nous protégeons avec nos battons et les tenons ainsi à distance. De tous les animaux croisés, les otaries apparaissent sûrement les plus agressives. Qu’aurions nous fait si nous humains avec nos nouveaux nés avions été approchés par des otaries plus grandes que nous ? Il nous faudra grimper une ultime butte pour atteindre la cabane de Cap Noir. Autour de cette dernière, une autre colonie d’otarie a élu domicile… Nous nous frayons un chemin pour parvenir jusqu’à l’entrée de ce cube en bois masquant un autre en métal. Cet abri domine les falaises abruptes vertes et grises où nichent une colonie de cormorans s’occupant de leurs progénitures plus grosses qu’eux… Malgré cette vue splendide et imprenable, l’exposition au vent est le point noir de cette cabane. Chaque porte ouverte pour entrer ou sortir nous projette d’un côté ou de l’autre. La nuit sera très ventée mais nous sommes sereins car cette cabane trône sur cette butte depuis plus d’une vingtaine d’année ! Lors de cette étape, nous oublierons volontairement la toilette journalière du fait d’une densité d’otaries trop importante ! Bizarrement, les toilettes seront également plus proches de la cabane…




Puisque le temps annoncé pour la fin de la semaine est très venteux (40 nœuds établis avec des rafales à 55-60 nœuds), nous décidons de ne rester qu’une nuit ici. Nous réaliserons ainsi tous les différents prélèvements d’eau et de sols au milieu de ces animaux endémiques des Kerguelen jusqu’à 21h30! La fin des prélèvements se fera le lendemain matin avant de poursuivre le transit ! Nous décidons également de ne pas nous rendre à Morne à l’extrême sud de la pointe Courbet, la cabane n’ayant plus d’eau potable… Ainsi, au lieu des 6 jours prévus initialement (120 kms) nous réaliserons cette expédition sur 4 jours (100 kms). La troisième étape démarre aux alentours de 8h après les derniers échantillonnages. Le cap est mis en direction de la cabane Manchot, notre dernière halte ! Cette fois ci, nous sommes dépendants de la marée car nous devons traverser une fine bande de sable/cailloux en basse mer. Ce petit cordeau immergé chaque jour délimite l’immense lac Marville de l’océan infini à l’est de la péninsule Courbet. Initialement, j’avais prévu de réaliser 2 carottages de sédiment, l’un côté lac, l’autre côté mer. La granulométrie grossière du fond de ces masses d’eau m’empêchera toutes tentatives de récolte d’échantillons… Les cartes satellites ne permettent malheureusement pas d’appréhender la réalité du terrain. Il n’y aura donc pas d’analyses géochimiques de cette partie Ouest des Kerguelen. Je me console rapidement, d’une part en me rappelant le volume impressionnant d’échantillons à analyser m’attendant à Biomar (notre laboratoire à Port aux Français) puis, d’autre part avec ce qui va être le clou du spectacle le long de la scène qui nous sépare de la cabane. Le feu d’artifice débute le long du lac Marville sur le front de mer où nous attendent des patchworks de colonies de manchots. Ils sont parfois seul, en couple, en groupe, en communauté, en colonie… Ils paraissent être venus sur cette plage pour contempler l’océan, discuter, marcher, se balader tout comme nous le ferions le dimanche après midi sur les plages du Nord de la France… Cette traversée de front de mer durera deux heures. Sur cette plage noire balayée par les vents à tribord et par les vagues rugissantes (joli spot pour les surfeurs) à bâbord, nous croiserons tantôt des manchots royaux, tantôt des manchots papous. Certains dorment au milieu de la plage et se réveillent paniqués en nous voyant. Nous en croiserons d’autres qui au dernier moment tenteront un plongeon… sur le sable. Chaque rencontre sèmera la panique chez ces animaux peu habitués à notre présence. Et chaque rencontre sera l’occasion d’assister à des scènes surréalistes d’affolement chez ces oiseaux. La lumière rasante sur leur plumage blanc, noir et orange les rends particulièrement agréables à observer et surtout à photographier ! Cette marche sur cette plage du bout du monde est irréelle et nous plonge dans un monde sauvage et d’une beauté rare. Nous sommes des acteurs éphémères sur cette scène. La trace de nos pas s’effacera rapidement après notre passage furtif, les souvenirs de ce spectacle hors du temps resteront gravés à jamais dans notre mémoire.




Au bout de ce cordon sableux, nous faisons un petit crochet vers une bande enherbée puis nous revenons sur une nouvelle plage pour le final. Avant de fouler les grains de silices grisonnant et iodés, nous contemplons du haut de la falaise la totalité de cette plage. Sur cette dernière, entre 50 000 et 100 000 points noires et blancs apparaissent. En s’approchant, ces petites tâches se révèleront être une autre colonie de manchots royaux, l’une des plus grandes au monde. Du haut, cela ressemble à un rassemblement de festivaliers venus écouter les derniers groupes à la mode ! Initialement, nous n’avions pas prévu de descendre sur cette plage, préférant laisser cette colonie exempte de présence humaine. Mais le passage d’une rivière nous a obligé à nous mêler partiellement à ces oiseaux nageurs. Nos sens seront sans dessus dessous. Aux arômes sauvages et marins se mêleront une symphonie de voix criardes non accordées. Sur une autre scène, le groupe décoiffant Éole soufflera des notes graves en rafales ou en bruit de fond. Dans cette ambiance grisâtre, une myriade de touche orange viendra égayer ce tableau du bout du monde et nos yeux émerveillés et légèrement humides. La magie rayonne lorsque, assis sur le sable, ces bipèdes à bec viennent à notre rencontre, motivée par leur curiosité. L’approche se fait pas à pas, mètre par mètre, minute après minute. Même si une certaine timidité les limite dans l’échange d’accolades, ils sont là devant nous. Nous sommes au rendez-vous chez eux. Nous sommes à l’heure dans ce temps en pause.




Le temps de reprendre nos esprits, nous finissons les 2 derniers kilomètres qui nous mènent à la dernière cabane de notre expédition, de notre périple, de notre aventure à Kerguelen ! Et ce n’est pas une cabane que nous allons découvrir mais plutôt un chalet confortable et de toute beauté disposée entre une mare d’éléphants de mer et une autre de manchots royaux… Ce refuge spacieux, entièrement en bois vient d’être rénové par les cabanettes (Gwen, Marion et Anaïs). Il ne manque rien. Nous nous y sentons bien. Nous y resterions bien. Il nous faudra tout de même filtrer, cette fois-ci, l’eau que nous boirons, celle en provenance du bain coloré des manchots ! Après une très bonne nuit réparatrice et aux doux rêves d’ailleurs, nous nous réveillons à 4h du matin et prenons la route à 5h30 pour l’ultime étape de notre transit. Même si le décor apparait un peu plus monotone, il n’en reste pas moins somptueux. C’est une région parsemée d’une centaine de lacs qu’il faudra contourner, éviter, pour engranger les 26 kilomètres qui nous séparent de la base. Le cap sera mis sur le flanc gauche du Mont Ross visible déjà depuis la cabane. Comme à l’aller, nous devrons traverser plusieurs rivières. Je tente, pour la dernière, une traversée en chaussures sur les cailloux partiellement émergés. Malheureusement, ce pont minéral imaginaire n'est visiblement pas construit jusqu’à l’autre rive : je décide donc de ne pas rebrousser chemin et de finir les pieds chaussés et le pantalon immergés dans l’eau fraîche de cette rivière du Château ! Il faut dire qu’il ne reste plus que 800 mètres avant d’atteindre Fusov, une ancienne base de lancement de petite fusée pour des mesures dans l’atmosphère. Nous croiserons d’ailleurs certaines de ces fusées, le nez enfoncé dans le sol caillouteux partiellement rouillées par le temps qui passe. Paul viendra nous récupérer en voiture sur cette vieille base franco-russe.


Il est 13h30 lorsque nous retrouvons nos chambres chaudes et une douche réparatrice ! C’était notre dernier transit. Nous réaliserons tout de même d’autres périodes d’échantillonnages à la journée avant d’être récupérer par le Marion Dufresne car notre départ, initialement prévu le 4 février, est décalé dans une période entre le 16 et le 22 février…


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