15 – 21 décembre 2021 – Après 2 semaines de confinement et 2 semaines de traversée à bord du Marion Dufresne, nous apercevons enfin cette terre tant attendue : l’archipel de Kerguelen ! C’est avec un mélange d’émotion et d’excitation que mes yeux enregistrent les premières images de ce petit bout du monde qui m’a tant fait rêver en amont. Combien de fois j’ai évoqué à mon entourage ce nom aux racines bretonnes qui évoque d’abord un territoire celtique proche de la mer et balayé par les vents. Du « j’aimerais tant partir dans les terres australes » à « je pars en mission aux îles Kerguelen », le chemin a été long. Il a débuté dans ma tête lorsque j’étais encore étudiant à l’université de Brest. Certains enseignants-chercheurs brestois avaient alors eu la chance de réaliser des campagnes d’échantillonnages sur ce territoire et y avaient rapporter quelques photos qu’ils greffaient ici et là pour illustrer et agrémenter leurs diapositives de cours magistraux ! Cette idée des terres australes n’a jamais disparue de mon esprit. Et, bien que je sois chercheur à Lille, dans un laboratoire qui n’avait pas forcement pignon sur rue pour ce genre d’expédition, je n’ai pas cessé d’y croire. Il y a quelques années, une collègue nous proposait de déposer un projet pour étudier des vers marins en Antarctique. J’y avais forcement répondu favorablement. Le projet n’avait finalement pas été financé. Et, de fil en aiguille, après moult discussions avec tous les collègues proches ou plus éloignés de ce désir de découverte de ces territoires extrêmes, la bonne nouvelle est enfin arrivée : Elle m’a été annoncée par Éric, un collègue du LOG avec lequel j’avais déjà discuté suite à son premier séjour en 2019 aux îles Kerguelen… A sa question, « serais-tu intéressé pour partir aux Kerguelen pour apporter un volet géochimie au projet que j’ai débuté ? », j’ai forcement répondu OUI tout de suite. Puis vinrent les questions : quand, pour combien de temps, comment, pourquoi ? Ces questionnements étaient légitimes car ce projet au bout du monde ne pouvait se faire sans en discuter avant avec ma petite famille… Après de multiples réflexions, la décision était prise. Nous devions partir sur la période novembre-décembre 2020. Mais la COVID 19 étant passée par là, le départ a été décalé d’un an avec une obligation d’une période de quarantaine de deux semaines. C’est donc pour trois mois que j’ai signé pour vivre cette expérience scientifique et humaine totalement atypique ! C’est ce parfum d’ailleurs qui me paraissait inaccessible que je peux enfin humer.
Du Marion, je peux enfin contempler ce qui sera ma maison, mon territoire pour un mois et demi. Majestueux, grandiose, sublime sont les quelques adjectifs qui qualifient mes premières impressions à la vue de cette terre à la frontière entre le 40ième et le 50ième parallèle. Nos sacs à dos étant déjà chargés la veille dans un des containers qui sera acheminé sur la terre ferme, nous embarquons pour la deuxième fois à bord de l’hélicoptère bleu Hélilagon piloté par Sébastien. Parés de notre gilet de sauvetage, nous sommes postés dans le hangar prêt à courir, tête baissée, vers cet engin volant. A 7h55, notre hélicoptère décolle et rejoint en 3 minutes Port-aux-Français, la « capitale » des Kerguelen. C’est l’occasion d’avoir un aperçu global, vu du ciel, de cette base scientifique qui va nous héberger. Nous sommes accueillis chaleureusement par le Disker Philippe (pas l’ancien vendeur de disques mais bien le chef de district de Kerguelen ») revêtu de son écharpe bleu blanc rouge puis par une bonne partie des collègues arrivés il y a plus ou moins longtemps… La météo est plutôt clémente pour notre première heure passée sur Kerguelen. Les sentiments sont multiples. Tout apparaît nouveau, inconnu, étrange. L’ambiance est à l’observation silencieuse. D’abord tous ces nouveaux visages qui auront un nom, une histoire, une mission sur ce territoire puis les bâtiments, la végétation et les premiers animaux. Au fond de moi je sais que lorsque je quitterai cette terre, toutes ces choses inconnues seront devenues familières. Chaque tête aura un nom, une bonne partie des plantes et animaux seront identifiés, quelques lacs, rivières, montagnes, vallées seront connus. Lorsqu’on arrive dans un lieu nouveau, tous nos sens sont en émoi. Des parfums inconnus viennent titiller nos récepteurs naseaux, des formes multiples et multicolores transpercent nos yeux, des chants, des bruits d’ailleurs viennent ricocher le long de nos tympans. Dans quelques semaines, mon corps et mon esprit seront totalement immergés dans cette nature brute. Dans quelques semaines, il faudra se réadapter pour une nouvelle traversée de trois semaines. Après quelques discussions et rencontres suivi par le discours de bienvenue du Disker à Tyker dans la salle de réception où se trouve également le bar «Totoche», nous découvrons nos chambres au bâtiment L6. Puis on enchaîne avec une visite presque complète de la base avec notamment la découverte de notre future labo « Biomar » où nous traiterons tous nos échantillons prélevés sur site.
La première chose vraiment atypique à PAF (Port-aux-Français) est la présence sur presque tous les chemins des éléphants de mer. Ils dorment les uns contre les autres ou seuls sur les quelques routes bétonnées, dans les mares, dans les fossés. Ils jouent, ils se pavanent et ronflent à nouveau. Les sons qui sortent de ces gros mammifères marins sont essentiellement gastriques. Des gaz semblent sortir de tous les orifices résonnants sous forme de sons caverneux et stomacales. Au bout de quelques jours, ces bêtes font partie de ce nouveau décor, l’étonnement est moins grand à chaque rencontre. Il faut dire que la nuit, lorsque l’on rentre tard du labo, il faut impérativement se munir de sa lampe frontale si l’on ne veut pas trébucher sur ces drôles d’éléphants ! D’autres bâtiments jonchent la base. Il y a des logements, une bibliothèque magnifique, une salle de sport, un hôpital (Samuker), des garages, une station météo, un centre CNES, une chapelle et une multitude de bâtiments dédiés à des activités diverses et variées. Il y a vraiment tout ce qu’il faut pour vivre plusieurs mois, coupé du monde. Tout est ouvert 24h/24. Ici, il n’y a pas d’échange d’argent et presque pas d’horaires. Seuls les 3 repas rythment la journée.
Les jours qui suivent laisseront place à des formations et de premiers échantillonnages de carottes à moins de 10 kilomètres de la base, du moins pendant les opérations du Marion Dufresne (décharge de matériel scientifique, des vivres, ravitaillement en gasoil… ). En effet, pour des questions de sécurité et de logistique, tout est concentré sur les transferts base – Marion Dufresne. Nous rentrons donc dormir au L6 tous les soirs jusqu’au 21 décembre. Ici et là, nous sommes formés sur le niveau 2 des premiers secours (et notamment l’utilisation de la radio pour communiquer avec la base), sur l’extinction de feux (avec cas pratiques), sur la sécurité lors des transits… Toutes les sorties que nous faisons et feront doivent être déclarées, préparées, sécurisées. Chaque fois, nous serons munis d’un GPS, de deux radios avec leurs batteries, d’une trousse à pharmacie complète en plus de notre matériel scientifique et de nos affaires personnel. A 8h et 12h notre talkie-walkie est en veille, à 17h30, nous faisons un point avec la base. Une cheville foulée à plus de 3 jours de la base peut se transformer en vrai calvaire notamment s’il faut utiliser un brancard pour ramener le blessé ! Nous ferons donc très attention au style de marche que nous adopterons et resterons humble vis-à-vis de cette nature qui peut être très hostile.
Nos premières sorties à la journée nous permettent de découvrir et admirer les premiers paysages caractéristiques de Kerguelen. C’est aussi l’occasion de tester notre matériel et de se préparer physiquement. C’est à Isthme Bas, sur la partie Est de PAF que nous faisons nos premiers pas en longeant la côte sous une pluie fine et balayée par les vents forts. Nous croiserons nos premiers manchots royaux sur le sol de Kerguelen puis encore des éléphants de mer, des pétrels géants et des skuas. Le décor est marin et bleu à tribord. Il apparait parsemé d’une myriade de verts et de marrons constituants la végétation rase typique de Kerguelen à bâbord. Je reviendrai plus tard sur les doux noms de ces petites plantes.
Le lendemain, nous testons la partie Ouest de PAF jusqu’à la cabane « Jacky », récemment rénovée par les « cabanettes » Gwen, Anaïs et Marion (le vent très fort et soutenu, la neige qui nous frappe le visage et quelques rayons de soleil rythme la météo que nous avons eu lors de ce transit). Outre la découverte de cette jolie cabane où nous ne dormirons pas, cette sortie prélèvements aura été l’occasion de découvrir une succession de paysages multiples parfois très minéral et caillouteux, parfois très humides (souilles, marécages, tourbières…), souvent très verts, toujours grandioses ! L’appareil photo aura bien sûr immortalisé tous ces paysages. Nous aurons eu la chance également de découvrir les manchots Papou, plus petits que les royaux et extrêmement drôle dans leur démarche.
Ces premières campagnes nous aurons permis de tester notre matériel et notre stratégie d’échantillonnage. C’est déjà avec beaucoup d’échantillons et de carottes que nous revenons au laboratoire. Nous veillons tard les premiers soirs pour bien conditionner nos échantillons qui seront analysés à notre retour dans les différents laboratoires Lillois (LOG, LASIRE et LGCGE). Les premières carottes de sol et sédiment sont découpées sous azote dans une structure pyramidale (sac à gant) puis chaque échantillon est centrifugé puis à nouveau filtré et acidifié sous atmosphère inerte. Dans chaque échantillon, outre la caractérisation chimique et physicochimique des fractions solides et dissoutes, nous chercherons la présence de différentes amibes à thèque (micro-organismes). Ces dernières seront utilisées comme indicatrices des changements environnementaux et climatiques sur l’archipel des Kerguelen tant au niveau spatial que temporel. Depuis mon arrivée, je suis ébloui par toute cette logistique bien huilée. C’est une vraie petite ville où il ne manque de rien. Une grande partie des métiers essentiels y est représentée (menuisier, chauffagiste, mécanicien, électronicien, cuisinier, pâtissier, médecin… ).
Ça y est c'est réel 😍😍😍
Quel bonheur de te lire....Tu arrives à faire partager tes émotions au quotidien à travers tes récits qui nous font voyager...Merci Ludo
Merci lulu pour ce récit incroyable !! Le père Noël n'aurait pas pu t'offrir meilleur cadeau
Joyeux Noël !!