22 – 24 décembre 2022 – Il est 5h lorsque le réveil sonne. Le départ du chaland pour Port Jeanne d’Arc est prévu à 6h. Le petit déjeuner sera rapide. Le sac finalisé, on passe remplir notre touk (bidon) dans la cuisine avec les aliments frais que nous aurons besoin pour notre mission de 3 jours. Nous passons ensuite par la biosécurité pour nettoyer les bâtons de marche et les chaussures de rando. A côté se trouve l’Aventure II qui nous attend sur le petit port de PAF. A son bord, le bosco s’appelle Simon et le mécanicien Saphir. Nous chargeons nos sacs de rando remplis de nos affaires personnelles. Le reste du matériel est réparti dans 2 autres touks bien fermées. Elles devront résister aux embruns marins et surtout aux vagues qui arroseront copieusement le chaland ! Ce premier transit en bateau nous permet d’apporter une belle quantité de matériel pour les prélèvements. Nous ne sommes pas limités en volume et en poids car le matériel apporter restera en partie dans le camp situé dans les vieux bâtiments de l’ancienne usine baleinière de Port Jeanne d’Arc (PJDA). Avec l’Aventure II, nous traversons une bonne partie du Golf du Morbihan. La météo est capricieuse ce matin là et nous ne sommes pas sûr de pouvoir être débarqués sur la plage de PJDA. Le chaland dépose dans un premier temps 4 collègues sur l’île Mayes (ils y resteront jusqu’au 30 décembre). Le débarquement est rapide et s’effectue sur les rochers qui bordent cette île. Lorsque le bateau s’éloigne de ce quai de fortune, il y a comme une impression de naufragés sur une île déserte que l’on quitte pour quelques jours. Il n’y a rien autour hormis une petite cabane rouge. Ils y étudieront et suivront quelques oiseaux comme des pétrels ou des manchots.
Une petite heure après, c’est à notre tour d’être débarqué sur la plage de galets de PJDA. Bien que le chaland tente de « beacher » au maximum, nous devrons tout de même sauter dans 30 cm d’eau (tout juste la hauteur de nos bottes), l’équipage ayant oublié l’échelle 😉. Nous débarquons rapidement nos touks et observons, avec une petite émotion, le chaland s’éloigner de nous et de notre nouvelle base. Nous serons également seul sur cette partie des Kerguelen pendant 3 jours. Au loin, nous apercevons quelques manchots Papou venus nous saluer. Les sacs sur le dos et les touks dans les mains, nous rejoignons un des très vieux bâtiments qui nous servira de logement. Il constituait également le dortoir des travailleurs vers le début du 20ième siècle. Pour la petite histoire, c’est un industriel français du Havre, Emile Bossière, qui eut l’idée, avec ses deux fils René et Henry, de construire cette usine baleinière dans les îles Kerguelen. Ils firent appel aux capitaux et savoir-faire des norvégiens pour la construction en 1908 de Port Jeanne d’Arc. C’est la seule station baleinière sur le territoire français. D’intrépides marins affrontèrent alors les quarantièmes rugissants et les cinquantièmes hurlants pour chasser des baleines afin d’y extraire, dans cette usine, toute la graisse et l’huile qui servaient à l’éclairage des grandes villes américaines. A partir de 1926, l’usine est définitivement abandonnée. Sa valeur patrimoniale n’étant pas encore reconnue, la station souffre des dégradations du temps qui passe. C’est ce que nous constatons en arrivant aux abords de toutes ces constructions partiellement en ruine. Des centaines de tonneaux en fer jonchent le sol. D’autres éléments sont également éparpillés ici et là. On imagine bien l’activité qui a pu se dérouler sur ce sol il y a plus de 100 ans. Ma première impression n’est pas bonne. Je trouve triste de voir toute cette pollution métallique gâcher ce paysage si grandiose. On aurait envie de monter un programme pour réhabiliter le site, le nettoyer et d’y garder les principaux éléments, rénovés… Un jour, peut-être, Port Jeanne d’Arc reprendra ses couleurs d’antan mais sans l’exploitation des baleines. C’est ce qu’il pourrait arriver de mieux pour ce petit joyau des Kerguelen.
En poussant la porte du bâtiment, on découvre une atmosphère étrange. Il y a plusieurs « chambres », une cuisine et 1 table pour manger. On ressent une impression de temps figé. C’est comme si les habitants de cette usine avaient dû fuir rapidement le site laissant derrière eux les meubles et leurs affaires. Le silence règne. On s’installe dans une des chambres, celle où se trouve un vieux chauffage au gaz. Nous ressortons rapidement pour remplir les arrosoirs et bidons dans la rivière adjacente. Cette eau nous permettra de cuisiner, de faire la vaisselle, de nous laver et bien sûr de nous abreuver ! C’est dans ces moments là que l’on mesure particulièrement la valeur de l’eau !
Après avoir réorganisé nos sacs à dos avec le matériel de prélèvement (tubes, carottes, sondes physicochimiques…), nous déjeunons rapidement. Au menu, ça sera le poisson apporté dans notre touk de frais ! Puisque nous n’avons que l’après-midi, nous commençons par la partie Ouest de PJDA : la Baie des Swains. C’est à 2 heures de marche de notre base de fortune. Le vent s’est levé et il souffle avec des rafales de 55 nœuds ! Autant dire que chacun s’attelle à rester debout. La communication est coupée car le bruit du souffle est criant ! Les paysages sont encore grandioses et époustouflants. On longe la côte et nous croisons encore des manchots, des éléphants de mer. Au loin, nous pouvons apercevoir de belles cascades. Non loin de notre premier point de prélèvement, nous tombons nez à nez avec une harde de reines (une vingtaine environ). Dans ces moments, c’est assez drôle d’observer les regards échangés : chacun se demande ce qu’il faut faire… Ils seront les premiers à fuir. Notre premier point se fait sur les rives d’une rivière qui se jette dans la Baie des Swains. Ici, nous voudrions observer les gradients eau salée – eau douce qui s’opèrent graduellement et qui pourraient nous permettre de déceler un changement de population chez les micro-organismes vivant dans ces sols humides. Lors des échantillonnages, les Skuas (gros oiseaux qui ressemblent aux Pétrels Géants) nous rendent visite et tentent de nous voler notre matériel ! Plus tard, ce seront les éléphants de mer qui voudrons ramper au milieu de nos sacs ! Nous l’avons bien compris, nous ne sommes que de passage et c’est donc à nous de nous adapter à cette faune sauvage mais néanmoins curieuse ! Nous revenons à 21h au campement sous un soleil radieux et avec un vent extrêmement léger. En marchant, chaudement emmitouflé sous mes couches de vêtements, j’avais un sentiment de soir d’été calme le long des plages bretonnes avec une belle lumière rasante.
De retour « chez nous », j’en profite pour prendre rapidement une « douche » directement dans la rivière. Puisque le vent a presque disparu, c’est un moment assez agréable où je n’ai pas ressenti le froid… Après quelques traitements d’échantillons (des mesures de pH et de potentiels redox dans 2 carottes de sédiment), il est presque minuit lorsque nous nous couchons, la lampe frontale vissé sur la tête ! Chaudement emballé dans notre duvet, nous nous endormons dans ce lieu hors du temps où le vent agitera quelques pièces métalliques. Nous n’avons pas le temps de nous imaginer dans un film d’horreur enfermée dans une maison hantée (il y aurait une légende par ici : la petite fille au marteau 😉 !). Nos yeux se ferment rapidement ! Les jours suivants, nous grimperons en direction du Mont du Refuge culminant à 500 mètres. Chacun avancera à son rythme. Puisqu’il n’y a pas de chemins tracés pour rejoindre notre cible, j’ai choisi de monter en ligne droite (sans virage) ce qui a eu pour effet de bien travailler le cardio et les divers muscles des jambes ! Je n’ai pas vraiment ressenti de douleurs. Les premières marches autours de la base auront été bénéfiques ! En haut, la vue est incroyable. Une myriade d’île parsème le Golf du Morbihan. Au loin, on peut observer les monts qui culminent à différentes hauteurs et qui sont partiellement cachés par les nuages passant. C’est à ce moment là que je mesure la chance que l’on a de pouvoir travailler face à de tels paysages. Nos échantillons auront une vraie valeur et nous nous rappellerons, lorsque nous serons à nouveau dans nos labos, l’ampleur du chemin parcouru pour atteindre ces sites extrêmes !
Le vendredi 24 décembre, le chaland revient nous chercher à 9h. Après 3 heures de traversée, nous apprécions la douche chaude et le repas dans une ambiance chaleureuse ! Après une après-midi de traitements d’échantillons, il est l’heure de fêter Noël !
Quel plaisir de te lire et de visionner tes photos... Ça donne vraiment envie de te rejoindre. On attends la suite avec grande impatience.
Merci pour ces photos du bout du monde....