Le programme des 3 jours autours de la cabane Studer est assez chargé. Les heures de marche dans les montagnes vont s’additionner. Le premier jour, nous mettons le cap vers les Montagnes vertes. Nous voulons faire des profils d’échantillonnages en fonction de l’altitude. Nous grimpons donc suffisamment haut pour voir un changement de végétation. Des mousses, bryophytes, graminées et Acaena, le sol finit par n’être recouvert que d’Azorelle. Ce sont de grosses demi sphères vertes claires et rases. Chaque année, la plante se renouvelle sur elle-même. En parallèle, j’en profite pour établir une autre stratégie d’échantillonnage du bassin versant. Je commencerai par la rivière du Sud qui prend sa source entre les Mamelles (autres montagnes en forme de…) et les Montagnes vertes. Je pourrai ainsi y observer l’influence de chaque cours d’eau du bassin versant. L’ascension des Montagnes Vertes est assez rude car le sol caillouteux y est très fragile. Le dénivelé atteint très vite un fort pourcentage. Nous prenons soin de le faire tranquillement car notre collègue a le vertige… Une fois la première barre franchie, nous atteignons un plateau entre 400 et 500 mètres d’altitude. Dans ce lieu, notre regard est vite attiré par les nombreux minéraux multicolores dispersés sur un sol basaltique apocalyptique. On ressent un début de monde avec un goût d'inachevé. C'est brute, c'est minéral, c'est inerte, c'est désorganisé. Néanmoins, dans ce tableau sombre surgissent des touches de couleurs ici et là. On pourrait croire que ces cailloux soient tombés de la poche d'un géologue. Presque toutes les couleurs y sont représentées. Ils sont à base de silice, de fer, de cuivre, et d’autres éléments. Nous en prélèverons certains que nous identifierons à Lille (enfin, surtout mes collègues géologues !). Ils permettront, peut-être, d’expliquer la présence d’éléments chimiques particuliers dans les eaux du bassin versant. Sur le chemin, non loin d’un point de prélèvement, nous tombons sur une macabre découverte. Deux rennes sont quasiment momifiés au bord d’une rivière. On peut imaginer un combat entre ces deux-là. Leurs bois se sont entremêlés les rendant prisonniers l’un de l’autre. Ils sont morts au bord de cette rivière. La nature apparait ici à l’état brute. Il est tout de même rare d’observer ce genre de scène en Métropole. Ces deux corps enchevêtrés apparaissent figés pour l’éternité. Personne ne viendra les déplacer. Les Skuas et autres prédateurs finiront peut-être par les dépecer. De loin, on aurait pu imaginer une œuvre artistique. Mais ici, c’est la nature qui s’en charge ! Elle nous donne à cette occasion, en quelque sorte, matière à réflexion. Dans cet affrontement animal, nul n’a vaincu la partie adverse. Ils sont morts au combat de la manière la plus stupide qui soit… Cette terre des Kerguelen renferme beaucoup d’autres cadavres. Des lapins, des goélands, d’autres rennes attirent parfois notre regard vers le sol. Ces animaux familiers ont vécu leur vie sur cette terre du bout du monde. Ici, ils n’avaient pas les mêmes prédateurs qu’en Métropole. En marchant, on assiste parfois à des scènes lugubres. C’est la chaîne alimentaire des Kerguelen. Le soir, lorsque nous revenons à la cabane, nous trions nos échantillons collectés. J’en profite pour acidifier certains d’entre eux pour les stabiliser. Nous vérifions également que tous les points GPS soient bien notés. Les sondes sont nettoyées et recalibrées pour le lendemain. Avant la tombée de la nuit, nous nous rendons les uns après les autres dans notre douche naturelle. Ce lieu, situé en contre bas de la cabane, est le lac Supérieur où l’eau est limpide et à 7°C ! Un plongeon nu et rapide permet de se mouiller le corps. Après un savonnage rapide, un autre plongeon permet de se rincer rapidement. Les doigts de pied sont les premiers gelés. La tête suit ! Lorsque le vent souffle, l’impression de froid est décuplée ! Je me sèche vite et m’habille dans une tenue propre pour la nuit qui commence à tomber ! Ce soir, le repas sera à la fête. Paul, le « manipeur » qui nous a accompagné, a pêché une truite dans ce même lac ! Accompagnée de riz, nous concluons notre seconde journée de la plus belle des manières. Ce soir-là, le ciel est dégagé. Les étoiles scintillent dans toutes les directions. On aperçoit la Croix du Sud et plus loin la constellation d’Orion. Dans cette myriade d’étoiles, la Voie Lactée se montre plus étincelante et dense ! Les lampes frontales s’éteignent vite laissant place aux rêveries nocturnes.
Le lendemain, le réveil sonne vers 7h. Le soleil est déjà levé depuis 2h30. Après un bon petit déjeuner et une vue imprenable sur cette magnifique vallée de Studer, nous mettons le cap vers le Mont Crozier, toujours pour échantillonner des Amibes à Thèques en fonction de l’altitude. De la même façon, je compléterai mes prélèvements d’eau pour établir une vue d’ensemble complète du bassin versant. Cette ascension se fait sous le soleil. Nous croiserons des cascades, des rivières et beaucoup de choux des Kerguelen, une espèce endémique et en voie de disparition. Depuis l’introduction des lapins sur ce territoire, ces végétaux constituent un de leur plat principal ! A une autre époque, les marins le mangeaient également pour lutter contre le scorbut. Ce chou est riche en vitamine C. L’espèce étant protégée, nous ne le gouterons pas. A la place, après quelques filtrations d'eau au bord de la rivière et mesures de paramètres physico-chimiques, nous déjeunons. Au menu, noix de jambon, pâté Hénaff et pain frais d'il y a 2 jours. L’objectif d’atteindre le sommet du Mont Crozier à presque 1000 m est revu à la baisse. La distance à parcourir pour débuter l’ascension est trop grande pour aujourd’hui. Il est toujours important de s’assurer de pouvoir revenir avant la nuit qui tombe ici vers 20h30-21h. Nous grimperons néanmoins sur le sommet voisin, plus proche, le Mont Amery avec un sommet enneigé à 900 mètres d’altitude. Pour cette ascension, nous nous délesterons de nos gros sacs, emportant avec nous l’essentiel ! Je grimpe en tête sur les éboulis de pierre en équilibre. Les muscles des cuisses sont à plein régime! Le sommet paraissait proche... Les blocs rocheux sont de toutes tailles. Il faut donc s'adapter sans cesse. Un chemin de GR aurait permit une ascension plus douce. Arrivé au sommet, la vue est imprenable et majestueuse ! Avec une rotation de son regard à 360°, on peut apercevoir les principaux sommets dont le Mont Ross, le point culminant des Kerguelen (1700m) et la calotte glacière Cook qui semble être un amoncellement de nuages blancs. Ce glacier est le plus grand de France et il est entrain de fondre suite au dérèglement climatique qui prend grandement place aux îles Kerguelen… La neige qui est à mes pieds me permet de me désaltérer, d'autant que ce jour là, hormis un vent parfois frais, le soleil et les températures douces sont de la partie. La descente est plus rapide, le mélange de terre et de pierre permettant de glisser comme sur de la neige. A 17h30, alors que nous avons encore 1 heure de marche, nous faisons la « VAC radio » comme tous les soirs à la même heure lorsque nous sommes sur le terrain. Cela permet aux personnes hors de la base de faire un point sur leurs situations géographiques, morales et physiques. Sans nouvelle au bout de 24h, un plan de « sauvetage » est lancé depuis la base. Ce jour-là, il faudra monter en haut d'une falaise pour avoir une bonne communication. A cette occasion, nous recevons également le bulletin météo pour Kerguelen réalisé par Frédéric. Il est important pour nous car il nous permet d’adapter le programme d’échantillonnage selon la force du vent, la quantité de pluie… En effet, lorsqu’il pleut beaucoup, la hauteur d’eau des rivières peut grimper vite rendant leur traversée très dangereuse (plus de débit).
Le lendemain, nous finirons le plan d’échantillonnage en nous rendant vers le lac Margot, magnifique lac de montagne. Lors d’un prélèvement de bryophytes, Eric se fera voler un de ses tubes par un skua ! Après une petite course, il finira par le récupérer ! Les skuas sont toujours à l’affut du moindre objet qui pourrait trainer. Nous sommes donc obligés, à chaque fois, de remettre chaque tube dans nos sacs et de ne rien laisser dépasser !
Après une dernière collecte des eaux des petits lacs proches de notre cabane, j’en profite pour essayer la pêche à la truite à la cuillère. Après 20 minutes, le poisson mort à l’hameçon ! Après un gros nettoyage, nous la mangerons avec plaisir pour le diner !
Le lendemain, nous nous levons tôt pour le transit qui nous attend de Studer à la base. Sur le chemin du retour, les paysages sont à nouveau magiques. Avant de s’arrêter pour une pause à la cabane Jacky pour le déjeuner, nous faisons un détour vers la Rivière Cachée, un autre affluent du bassin versant. A la source de cette jolie rivière, une magnifique cascade s’écoule voluptueusement ! Le spectacle est grandiose ! Notre retour à la base se fait à 17h le 31 décembre 2021. Après une bonne douche CHAUDE, nous nous préparons pour le réveillon du Nouvel An. Nous le fêterons avec un bon dîner. Cette soirée-là, tout le monde est sur la base ! Bonne année 2022 à tous !
Merci Lulu pour ce récit et ces photos magnifiques !!
Quel beau chapitre du livre que tu es entrain d'écrire, agrémenté de photos magnifiques..L'aventure au bout du monde.... j'imagine que vous devez avoir l'impression de découvrir une planète inconnue...Bonne continuation